Questions et réponses sur les savons artisanaux

 

J’ai un bon lot de questions et de commentaires sur les savons artisanaux, surtout depuis que je peux jaser avec les gens à la boutique. Je me dis qu’il serait pertinent que je vous fasse un petit (!!) résumé de tout ça. Ça vous dit ?

 

 

D’abord, quelle est LA différence entre un savon artisanal saponifié à froid et le "savon" du commerce ? S’il y a une seule réponse possible, je réponds la douceur. Mais c’est beaucoup plus que ça. Commençons par comprendre ce qu’est un savon du commerce. À la base, un "savon industriel" (comme la plupart des produits industriels d’ailleurs) doit être

1) durable pendant un temps indéterminé, voire pour toujours, durant le transport, le temps d’entreposage et le temps sur les tablettes des commerces

2) stable aux variations de température

3) peu coûteux à créer

4) possibilité de confection en gros

Pour répondre à tout ça, on doit oublier dans les "savons" du commerce tous les beaux ingrédients naturels, non transformés, non raffinés, notamment les huiles et beurres car ils rancissent avec le temps (ils ne pourraient pas subir le long entreposage typique des savons industriels). C’est pourquoi "ils" créent des produits de synthèse fabriqués industriellement : on appelle ça des détergents. Mais vous ne tolérerez jamais de vous laver avec un détergent… il faut donc y ajouter des agents (souvent chimiques) adoucissants, moussants, hydratants, durcisseurs, des conservateurs, des parfums, etc. Oui, ça lave, et ça sent bon, mais à quel prix pour votre peau ? C’est de plus en plus connu que bien des problèmes de peaux proviennent des détergents que l’on y badigeonne encore et encore. Il ne faut pas oublier que la peau est le plus grand organe du corps et que tout ce qu’elle absorbe sera propice à se retrouver dans le sang. Moins on y met de produits chimiques, moins on aura de possibilités de développer des problèmes de santé. Petite note d'histoire : savez-vous comment les détergents ont été inventés ? Certaines sources citent la Première Guerre Mondiale, d'autres la Deuxième, ou les deux, mais dans les deux cas, c'est une rupture de stock de gras animaux et végétaux à coût raisonnable qui a poussé les chimistes à fabriquer synthétiquement les savons : les détergents étaient nés ! Le pétrole est souvent l'ingrédient principal de ces produits chimiques utilisés dans les détergents. Cliquez ici pour en lire plus sur l'histoire du savon (en anglais).

 

Mais alors, qu’est-ce qu’un savon artisanal a de plus que les "savons" du commerce ? En fait, il a TOUT de plus ! Le savon artisanal, c’est simple : c’est le résultat d’une réaction chimique entre des beurres et/ou des huiles et un hydroxyde alcalin, soit l’hydroxyde de sodium (pour faire un savon dur) ou l’hydroxyde de potassium (pour faire un savon mou ou liquide). Nos ancêtres l’ont appris en faisant réagir de la potasse (cendre de bois) et des gras d’animaux. C’est comme ça que les premiers savons ont été créés. La réaction chimique (appelée saponification) est très simple :

UN GRAS + UN HYDROXYDE ALCALIN = CARBOXYLATE DE SODIUM (ou de potassium) (SAVON) + UN ALCOOL (GLYCÉROL, ou glycérine)

C’est une réaction totale, de sorte qu’elle prend fin lorsque tous les ions sont transformés (ce qui peut prendre de quelques heures à plusieurs jours). Oui, on parle de réaction chimique ici, mais on ne parle pas de produits de synthèse. Ce qui est complètement différent. Il faut comprendre qu’une réaction chimique n’engendre pas nécessairement de « produits chimiques ». Notre respiration par exemple est une réaction chimique, comme plein d’activités organiques au sein de notre corps. Revenons au savon : alors pourquoi est-ce mieux qu’un détergent ? Parce qu’il est composé de molécules qui n’agressent pas la peau (ni notre système endocrinien, ni notre système lymphatique, etc), au contraire. Et mieux encore, on peut lui donner des propriétés absolument fantastiques selon la recette créée par la savonnière (le féminin est utilisé ici pour alléger le texte 😉). Et c’est là tout le génie de la créativité ! En autant que les produits utilisés pour fabriquer le savon soient les plus purs, de la plus grande qualité et les plus naturels possibles. Sinon, à quoi bon ?

 

C’est quoi la glycérine, l’autre produit formé avec le savon lors de la réaction chimique de saponification ? C’est complexe. La glycérine (ou le glycérol) fait partie des molécules grasses, même dans notre corps. Je vais essayer de résumer sans entrer dans un cours de chimie… Pour le but de ce blog, on ne se pose pas de questions, et on accepte que ce soit un sous-produit de la réaction chimique lors de la fabrication du savon, d’accord ? Mais quelle chance, car ce sous-produit donne une superbe propriété au savon : il le rend humectant. La glycérine possède la propriété d’attirer l’humidité ambiante vers la peau, l’empêchant dans une certaine mesure de se dessécher. Et ce, sans ajout quelconque au savon, c’est tout à fait naturel !

 

Sur le savon Lumières nordiques (le deuxième à partir de la gauche), on voit ce qu'on appelle des "rivières de glycérine" qui sont un réseau de glycérine agglomérée

 

Pourquoi, si tout dans la recette est transformé en savon et en glycérine, on dit qu’un savon est plein de propriétés ? C’est qu’en fait, on peut ajouter d’autres ingrédients qui ne seront pas transformés en savon, qui ne seront pas saponifiés. Mais tout ceci avec la préoccupation de garder l’équilibre du savon. Ces ingrédients peuvent être :

• Un beurre ou une huile que l’on ajoute en plus grande quantité que ce qui peut être saponifié par la quantité d’hydroxyde alcalin dans la recette. On appelle ceci le SURGRAISSAGE. Un protocole en saponification à froid demande que l’on indique sur l’étiquette le % de surgraissage du savon. Vous savez ainsi que 5% de surgraissage par exemple indique que 5% du poids du savon contient des gras non saponifiés, c’est-à-dire qui sont dans leur état initial avec toutes leurs propriétés. C’est un peu technique, mais selon quand on ajoute ces gras additionnels durant la confection du savon, on peut, ou non, contrôler quelles propriétés de ces gras on veut garder dans le produit final.
• Des gras avec insaponifiables. Les insaponifiables sont des acides gras qui composent une huile ou un beurre donné qui ne réagissent pas avec l’hydroxyde alcalin. Parmi les gras possédant le plus haut % d’insaponifiables, on retrouve la cire d’abeilles et le beurre de karité. Ce qui veut dire que les superbes propriétés de ces ingrédients de base ne sont pas altérées lors de la saponification. On retrouve aussi en tête de liste le beurre de cacao, l’huile d’avocat et le beurre de mangue. Ajoutés à la recette du savon, ces gras lui apportent de belles propriétés.
• Des laits végétaux ou animaux. Selon le lait utilisé, il peut apporter telles vitamines et tels minéraux à la peau, pour bien la nourrir. Certains laits sont émollients, c’est-à-dire qu’ils vont former une barrière empêchant la peau de perdre son hydratation. Ils procurent aussi une sensation de douceur, et rendent la peau lisse et souple. Les laits donnent un aspect… laiteux au savon ! Ce qui est très agréable à l’utilisation.
• Des argiles. Ils vont apporter des minéraux à la peau, certains assez rares. Les argiles ont aussi un grand pouvoir absorbant, ce qui les rend efficaces contre le sébum bien logé dans les pores de peau. Les argiles ont aussi la capacité de mieux soutenir la mousse et améliore la dureté du savon. Et ils colorent naturellement les savons !
• Des exfoliants : graines de canneberge, marc de café, graines de pavot, chaga moulu, et tellement d’autres choses. En utilisant directement sur la peau un savon auquel on a ajouté un exfoliant (mais pas au visage !), on exfolie la couche cornée de l’épiderme tout en nettoyant. On fait d’une pierre deux coups ! Une peau exfoliée régulièrement sera plus apte à être hydratée en profondeur.
• Des sucres, comme le miel ou le sirop d’érable par exemple. Ils vont offrir des propriétés moussantes accentuées au savon. C’est vraiment agréable ! De plus, le miel possède des propriétés humectantes, comme décrit plus haut pour la glycérine (il attire l’humidité de l’air sur la peau, ce qui évite le desséchement). Oubliez les autres extraordinaires propriétés du miel dans un savon saponifié à froid : il est tellement cuit à haute température par la réaction chimique exothermique qu’il est faux de dire que le miel rendra le savon antiseptique et guérisseur. Aussi, en contrepartie, l'utilisation de miel ou de sirop d'érable dans un savon aura tendance à le rendre plus foncé.
• De la bière. L’avantage premier à utiliser de la bière dans un savon, c’est le fantastique aspect moussant qu’elle procure au savon. La bière ajoute aussi des vitamines B et des acides aminés au savon qui seront absorbés par la peau pour en faire un savon dit « conditionneur ».
• Des eaux florales ou des infusions herbales. J’ai une réserve à cet effet. Ce sont des ingrédients tellement fragiles qu’ils perdent toutes leurs propriétés lors de la saponification. Vaut mieux les garder précieusement pour les baumes, crèmes et savons saponifiés liquides (auxquels on ajoute ces précieux ingrédients après la saponification).
• Des fragrances. Que ce soient des huiles essentielles ou des huiles parfumées, elles doivent être de grande qualité pour éviter de réduire à néant les autres bénéfices du savon. Une huile essentielle ou parfumée de mauvaise qualité qui irritera la peau enlèvera tout intérêt à utiliser un savon artisanal plein de belles propriétés. Pour les personnes qui ont de grandes sensibilités aux parfums, il est suggéré d’utiliser un savon sans fragrance, même si ce sont des huiles essentielles, car ces dernières peuvent également être irritantes.
• Des colorants. Pour l’aspect esthétique seulement, on ajoute un colorant au savon. Le monde des colorants est aussi vaste, varié et de toute gamme de qualité que ce que vous pouvez imaginer ! Pour ma part, je privilégie les colorants qui ne seront pas absorbés par la peau et qui seront lessivés avec l’eau de rinçage. Les miens sont tous considérés naturels dans le monde des cosmétiques. En ordre d’importance, j’utilise les micas (pigments minéraux), du charbon activé (pour le noir), du dioxyde de titane sans nanoparticules (un pigment minéral pour le blanc), des oxydes de fer et des argiles.

 

Pourquoi les savons artisanaux sont majoritairement faits d’huile de coco (ou babassu), d’huile d’olive (ou canola) et de palme (écoresponsable dans mon cas) (ou de saindoux) ? À eux seuls, ces trois groupes d’huiles composent presque toujours 75% des huiles/beurres contenus dans tous les savons artisanaux. Ils formeront ce que j’appelle le « caractère » du savon. Selon les taux de chacun utilisés dans un savon donné, ils permettront de contrôler les aspects suivants : dureté, conditionnant, nettoyant, moussant et crémeux. Les autres beurres et huiles ajoutés apporteront les propriétés « bénéfiques » au savon, qui ne sont pas nécessaires pour laver la peau en douceur, mais qui rendent le savon très intéressant en termes de qualité globale. Prenez le temps de lire les ingrédients sur mes étiquettes de savon pour comprendre quelle qualité vous achetez.

 

C'est quoi la cure ? C'est la période totale d'attente avant que le savon soit prêt à être utilisé, qui comprend la période durant laquelle la réaction chimique (la saponification) se produit et la période de séchage. Je préconise une cure de 4 semaines pour la plupart de mes savons, et 6 semaines pour ceux qui contiennent une plus forte proportion d'huile d'olive. On pourrait utiliser les savons avant la fin de la cure car il est peu probable que la saponification soit encore en cours. Par contre, si on met un savon qui n'a pas fini de sécher sous l'eau, il l'absorbera plus, et sa durée de vie sera diminuée car il fondra plus vite.

 

C'est quoi un savon caustique ? C'est un savon qui contient encore des molécules d'hydroxyde de sodium qui ne sont pas entrées en réaction avec un gras. Il est donc encore actif en terme de saponification. S'il se retrouve sur votre peau, il la brûlera (sévèrement s'il est très caustique ou sensation de picotements généralisés sur toutes les zones du corps exposées s'il est peu caustique). La savonnière doit s'assurer que son savon n'est pas caustique avant de le mettre en marché. Ça ne doit jamais arriver !

 

Mon savon n’est pas mousseux, mais plutôt gluant. Il est fort à parier qu’il contient une très grande proportion d’huile d’olive. C’est un caractère très typique de cette douce huile.

 

Pourquoi un savon artisanal est-il plus cher qu'un "savon" du commerce ? Poser la question c'est y répondre ! La méthode de fabrication est plus laborieuse, moins de production peut être faite à la fois et les ingrédients de base sont plus dispendieux.

 

Mes savons artisanaux fondent sur le bord du bain… Oui, s’ils ne sont pas mis à sécher adéquatement après chaque utilisation. Je l’ai écrit plus haut, ils sont composés majoritairement de gras qui vont changer de texture au contact prolongé avec l’eau, et cette partie se détachera du savon sous forme de « bouette ». Pour éviter cela, il suffit de le déposer après usage sur une surface bien aérée en-dessous pour que le contact avec l’eau soit impossible. Un porte-savon en lattes de bois sera parfait. La durée de vie du savon sera incroyablement améliorée !

 

Des dépôts dans la douche ou dans le bain depuis que vous utilisez les savons artisanaux ? C’est le « dark side » des acides gras du savon… Ils interagissent avec les minéraux de l’eau pour former des sels insolubles, donc qui ne sont pas dissous par l’eau. Pour éviter toute accumulation, rincez et essuyez votre douche ou votre bain après chaque usage. Rien de difficile ni de long à faire, juste un petit travail de tous les jours pour éviter une corvée de « décrottage » de ces sels à long terme. Plus l’eau sera dure, plus ce phénomène sera important. Il existe toutes sortes de recettes avec bicarbonate de soude et vinaigre pour déloger ces dépôts s’ils apparaissent.

 

Comment reconnaître un savon artisanal par les ingrédients sur l’étiquette ? Santé Canada « surveille » la fabrication des savons artisanaux et toute savonnière consciencieuse déclarera ses produits mis en marché. Nous sommes dans l’obligation d’indiquer tous nos ingrédients sur l’étiquette, et ce selon la norme internationale INCI (International Nomenclature for Cosmetic Ingredients). Un savon saponifié avec de l’hydroxyde de sodium aura des ingrédients indiqués avec le terme SODIUM avant le nom INCI du beurre ou de l’huile saponifié. Par exemple, l’huile de coco devient « Sodium cocoate » dans un savon saponifié à froid. C’est ce que vous devez voir sur l’étiquette pour vous assurer que c’est un savon artisanal saponifié à froid. Vous devriez aussi trouver le % de surgraissage sur l’étiquette. C’est unique à ce type de savon, ce qui prouvera son authenticité. Pour ma part, j’indique mes ingrédients au format international INCI comme le veut la norme, mais je mets aussi la liste des ingrédients en français pour une meilleure compréhension par le consommateur. Par exemple, pour « Sodium cocoate », j’indique dans la liste en français : « Huile saponifiée (coco) » (voir un exemple ici puis cliquez sur l'onglet Ingrédients).

 

Dans un autre blog, je vous parlerai du savon liquide artisanal, celui fait avec de l'hydroxyde de potassium. D'ici là, pour reconnaître un savon liquide de même qualité que les savons artisanaux en barre, recherchez ceci sur l'étiquette des ingrédients : Potassium cocoate ou potassium olivate ou potassium palmate, etc. Ce sont les gras saponifiés avec l'hydroxyde de potassium. Si vous voyez plutôt : Sodium Laureth Sulfate ou quelque chose de ce genre, ce sont des détergents. Il y en a des plus doux que d'autres, mais ce ne sont pas des "savons". Même si on lit sur l'étiquette : "À l'huile d'olive", par exemple. C'est qu'on a ajouté de l'huile d'oilve à un détergent ! C'est du marketing pour attirer l'attention sur l'élément chouchou présent dans le détergent...

 

Vous avez d’autres questions en tant que consommateurs des savons artisanaux ? N’hésitez pas à m’en faire part ! Je vais tout faire pour trouver la réponse 😉